L’intérêt pour la vie culturelle de l’étranger, et pas seulement pour la culture du centre de l’Europe, mais aussi pour celle de l’Espagne, de l’Amérique ou les littératures des pays de l’Europe orientale, constitue un souci constant dans la vie et dans l’œuvre de Tsirkas. Sa bibliothèque, conservée dans la collection de l’EKEBI, en fournit des preuves abondantes, même si elle ne contient probablement pas une grande partie du fonds d’Égypte, en raison de son départ soudain d’Alexandrie pour Athènes à l’été 1963. Ainsi que le rapporte son ami Spyros Tsaknias (Αντί/Anti, 1980, 26), Tsirkas lisait de la littérature dans quatre ou cinq langues. Il s’adonnait à la traduction depuis son adolescence, publiant des poèmes traduits dans des revues athéniennes de contenu varié. Dans une note critique (sur les traductions grecques de Proust) il envisage la traduction comme un travail de création égal à l’original.
Son œuvre de traduction se divise en trois périodes (Ambatsopoulou, 2001) : 1. Premières traductions de jeunesse (1926-1927) de poèmes dont beaucoup sont restés inédits dans ses archives (Guy de Maupassant, Émile Verhaeren, Gabriel Vicaire). 2. Période de combat au cours de laquelle les traductions, que distingue un esprit de mobilisation politique et sociale, sont publiées dans des imprimés antifascistes égyptiens et des périodiques grecs (1937-1963). On note durant cette période l’intense présence du poète cubain/américain Langston Hughes, ainsi de celle d’écrivains espagnols qu’il avait rencontrés au deuxième Congrès international et mondial de défense de la culture contre le fascisme à Paris/à Madrid et à Valence en 1937. 3. Traductions de la maturité après la Trilogie, pendant les années de la dictature et du choix du silence (Kalamaras ?; Camillo José Cela), au cours de la période 1966-1978, qui furent publiées également en volumes séparés aux éditions Kedros et Iridanos. Ainsi que cela a été affirmé (Ambatzopoulou στοιχεία), les choix de Tsirkas au cours de cette dernière période se tournent vers des auteurs dont la réussite commerciale est moindre ‒ à l’exception, pourtant, du Petit Prince ‒ : ses préférences vont nettement aux auteurs dont l’écriture diverge des conventions du réalisme et tend vers le symbolisme. Dans ses archives sont conservés le premier jet de Ο άνθρωπος που πέθανε, 1966 (The Man Who Died, 1929) de D. H. Lawrence, ainsi que des traductions sans date telles que « Κοπή » de Sylvia Plath, « Νοσταλγία : Πάπα μου, πάπα… », Patrick Hemingway, des extraits de Guy de Maupassant et la préface de Manon Lescaut de l’abbé Prévost. En dehors des œuvres purement littéraires, Tsirkas a traduit des essais (W. H. Auden, Peter Levi) sur ses poètes favoris, K. P. Kavafis et G. Séféris. Dans son œuvre d’essayiste et de critique, il octroie au dialogue avec l’étranger une place particulière : mise en avant de l’action et de l’œuvre d’auteurs étrangers, transfert de vues qu’il exploite afin de commenter l’actualité politique (par exemple, Heine et l’hitlérisme, Mauriac et le mode de vie américain) ou présentation du regard étranger sur la littérature grecque (Robert Levesque et André Gide). La série des « portraits » littéraires qu’il publiait dans la revue antifasciste Έλλην est particulièrement intéressante ; dans la rubrique « Το πνεύμα ενάντια στη βία » (L’esprit contre la violence), il présente, auprès de Rigas Ferraios, certains poètes « nationaux » de l’Europe centrale et orientale (Hongrie, Ukraine, Pologne). Sont demeurés inédits des projets et des conférences sur la littérature américaine de 1930 à 1940 (1939-1944), sur la littérature afro-américaine (et en français « La littérature nègre d’Amérique »), sur le grand romancier E. M. Foster (1944). À travers son action antifasciste et politique, il cultiva des contacts avec des auteurs et des intellectuels importants d’Espagne, de France, d’Angleterre et du continent américain. L’expression de cette unanimité de pensée se retrouve dans le « Serment des poètes à Federico Garcia Lorca », composé par Tsirkas et signé de quarante auteurs de quarante pays.
Une forme d’alimentation réciproque entre la littérature grecque et française ou, encore, de médiations réciproques, s’est créée grâce à la relation que Tsirkas cultiva avec le comparatiste René Etiemble, avec lequel il partageait des positions idéologiques sur l’antiaméricanisme, la gauche et Staline (St. Athini στοιχεία). Leur rencontre remonte à Alexandrie entre 1944 et 1948 ; ils la poursuivirent par correspondance jusqu’en 1978. Tsirkas contribua à enrichir les études comparées d’Etiemble en lui fournissant des exemples grecs, comme les traductions grecques de Rimbaud ‒ et c’est pour lui aussi qu’il traduisit en français une publication de A. K. Indianos dans les Κυπριακά Γράμματα (Lettres chypriotes) ‒ ou les haïku grecs (G. Séféris, D. I. Antoniou) : de cette façon, la littérature grecque trouva une place à l’intérieur de la littérature européenne. De cette relation naquirent les lemmes de Tsirkas sur Kavafis et Kalvos dans l’Encyclopedia universalis, et une conversation débuta sur l’édition de l’œuvre de Kavafis en français par les éditions Gallimard dans la collection « Connaissance de l’Orient », dirigée par Etiemble, dans une traduction de Tsirkas, à l’occasion du centenaire de la naissance du poète alexandrin. L’édition n’eut pas lieu, pas plus que celle de Séféris prévue dans une traduction de G. P. Savvidis, que Tsirkas avait proposé. Tsirkas rendra hommage au comparatiste français en mettant en évidence sa présence à Alexandrie dans le volume qui lui fut consacré à l’occasion de ses soixante-dix ans. Il ne parviendra pas cependant à publier la traduction grecque du texte de la conférence d’Etiemble sur Kavafis à Alexandrie en 1948, au cours de la première partie francophone du « Festival Kavafis » qu’avait organisé la « Πνευματική Εστία » (Pnevmatiki Hestia/Foyer intellectuel). Ce « cours magistral de comparatiste », ainsi que le qualifie Tsirkas, qui exerça une grande influence sur sa propre approche méthodologique de l’œuvre de Kavafis, examinait du point de vue comparé trois traductions françaises du poème « Κεριά » (Cierges). De son côté, Etiemble, dans sa critique intitulée « Un grand romancier grec : Stratis Tsirkas », publiée dans Le Monde (11.2.72) peu avant l’attribution du prix de meilleur roman étranger, suscita un intérêt particulier dans le public aussi bien français que grec pour la Trilogie et son auteur.